Profil d’un agriculteur entrepreneur et visionnaire

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Après un BTS agricole et un Master 2 de commerce en agriculture, Laurent a repris en 2010 l’exploitation familiale d’une surface de 195 hectares, répartie sur deux sites distants d’une dizaine de kilomètres, à La Boissière Ecole et à Gazeran dans les Yvelines.

Traditionnellement, les cultures menées sur l’exploitation étaient le blé et le colza, avec un peu de protéagineux.

Membre actif des Jeunes Agriculteurs d’Ile de France, Laurent bénéficie ainsi d’une immersion privilégiée dans l’actualité agricole, qu’il s’agisse de l’évolution des pratiques ou des tendances de marché.

« On suit un peu plus l’actualité donc on connait un peu plus les opportunités et aussi les tendances et les contraintes qu’on va avoir »

Ce qu’il est intéressant de souligner, c’est l’ouverture personnelle de cet agriculteur sur son environnement et son talent d’entrepreneur audacieux.

La première démarche audacieuse de Laurent fut de reprendre l’exploitation de ses parents, tout en gardant un esprit visionnaire et une agilité suffisante pour s’engager, aux côtés de son père toujours actif sur l’exploitation, dans de profondes transformations.

Dès son installation, Laurent adopte une stratégie opportuniste en introduisant de nouvelles cultures à forte valeur ajoutée :

  • Valeur ajoutée financière pour la betterave : « J’ai introduit la betterave il y a trois ans pour diversifier et sécuriser le revenu »
  • Valeur ajoutée agronomique pour la luzerne : « J’ai réintroduit la culture de Luzerne : la luzerne nourrit le sol, et elle empêche les chardons de se développer. Je vais faire trois récoltes et ensuite du blé »

Puis la grande transformation opérée par Laurent fut un début de conversion en agriculture biologique dès 2017.

Une transformation qui a impacté la conduite des cultures en commençant par les dates de semis, le matériel utilisé, etc…. Aujourd’hui, la moitié de la surface du site de La Boissière est passée en bio, le site de Gazeran étant encore conduit de façon conventionnelle.

Si l’on cherche à comprendre ce qui a motivé Laurent à mener cette transformation vers le bio, on ne peut que déceler un mélange de bon sens et de choix par affinités personnelles.  

 

1.Une motivation clé pour Laurent : la possibilité d’adopter des technologies et des outils d’avenir

Le challenge de l’expertise et de la précision requises par le bio est en soi un premier défi pour Laurent :

« Il faut être plus exigeant en bio, anticiper davantage, travailler différemment faire plus de travail du sol, introduire d’autres cultures. Sur la partie bio par exemple, j’ai radicalement modifié mes dates de semis »

Mais au-delà de cela, la culture biologique, pour être performante, utilise des outils de dernière génération, et sans doute demain, des outils actuellement en cours de mise au point :

« Ce sont vraiment les outils technologiques qui ont déclenché ma décision de passer en bio »

Laurent a adopté et apprécie la précision apportée par le guidage RTK : « J’utilise le guidage RTK : avant par rapport à un rang on se décalait et là avec la caméra on peut aller au plus près pour désherber au plus juste. Cela visualise les rangs en 3D, en fonction de la pente… En fonction de la colorimétrie, cela distingue la culture des mauvaises herbes »

Pour le moment l’investissement en matériel adapté à la culture biologique a consisté en l’acquisition d’une bineuse au prix de 55 000 €. Matériel que Laurent amortit en l’utilisant non seulement sur la betterave mais également sur les parcelles de blé restées en conventionnel, ce qui lui permet de réduire le nombre de désherbages chimiques.

« Je profite de certains outils pour la partie conventionnelle. Par exemple avec la chambre d’agriculture je fais des essais de binage en complément de la chimie pour essayer de réduire la chimie »

Conscient de l’intérêt des outils légers, précis, et non polluants, Laurent suit de près l’actualité des innovations en la matière.

« Je pense que la robotique c’est l’avenir. J’y pense clairement »

Le robot Ecorobotix par exemple suscite son intérêt, et Laurent suit son actualité aussi bien sur les réseaux sociaux que lors de manifestations agricoles :

« Ecorobotix, je le suis de près, notamment pour la betterave. J’ai voulu aller le voir au SIMA et j’ai vu un chercheur qui m’a dit qu’ils avaient un peu abandonné le projet…. Pourtant il y a eu des ouvertures de capital et des rentrées d’argent, donc je n’ai pas trop compris…. il y a BASF qui est entré au capital, il y a des coopératives qui sont entrées au capital …. ils n’y vont pas pour rien ! »

A ce sujet, Laurent a soulevé un aspect important : la problématique du vol, qu’il perçoit comme LE frein majeur à l’acquisition d’outils innovants légers :

« La contrainte pour moi c’est que déjà dans les cours de ferme on se fait voler des gros tracteurs. Il y a des vols de tracteurs et de GPS qui partent en Roumanie en camion, donc si on laisse des outils autonomes au milieu des champs…..C’est la seule contrainte que je vois »

 

2. L’aspect santé a joué également dans son orientation vers le bio, Laurent étant papa de deux petits garçons et conscient des risques dus aux produits utilisés en agriculture conventionnelle :

« Ensuite pour ma santé : nous agriculteurs, on est les premiers sujets aux risques des produits que l’on utilise »

 

3. Et bien sûr une logique économique, dans un contexte où les produits qui permettaient de produire en conventionnel dans de bonnes conditions sont progressivement supprimés du marché et où le consommateur a perdu confiance dans l’agriculture utilisant la chimie même de façon raisonnée :

« Je me suis aperçu en discutant avec les jeunes Agriculteurs que malgré qu’on produise de façon raisonnée en conventionnel, pour les gens c’est blanc ou noir : Bio ou pesticides. De plus le nombre de produits homologués diminue régulièrement. Donc je me suis dit, j’ai encore 30 ans à venir… »

Très concrètement, l’évolution vers le bio offrait à Laurent une solution potentiellement intéressante face à un marché qui remettait en cause son choix récent d’introduire la culture de la betterave « Un an après que j’ai introduit la betterave, le prix des betteraves a bien chuté.  Cela m’a donné des opportunités pour faire de la betterave bio.. et aussi de la luzerne… Typiquement pour la betterave le bio est intéressant : le prix de vente de la betterave conventionnelle est de 22 €/tonne, alors qu’en bio c’est 32 €/tonne. Or sur les rendements il y a à peu près 15 à 20 % d’écart. Donc c’est une culture qui peut être intéressante en bio »

« Il y a aussi des laboratoires comme Clarins qui veulent faire des produits à base d’éthanol bio issu de betteraves biologiques »

 

4. Un volet important dans la stratégie de changement menée par Laurent concerne le partenariat établi parallèlement avec une ferme voisine, pionnière en matière de conduite responsable des productions. Un partenariat qui a renforcé la pertinence de ses nouvelles orientations stratégiques :

Située sur la même commune que celle de Laurent, la ferme laitière de la Tremblaye est un modèle de l’agro-écologie. Elle figure en outre parmi les quelques fermes françaises possédant leur propre station de méthanisation.

Dès 2014, Laurent contacte la ferme en expliquant qu’il envisage de passer en bio et serait intéressé par le digestat du méthaniseur (substrat liquide épandable dans les champs en culture biologique).  Non seulement la ferme de la Tremblaye accepte que Laurent récupère le digestat de son méthaniseur, mais elle se serait même inspirée de son exemple pour s’engager également dans la voie du bio :

« Je pense que le fait que je leur dise que j’allais passer en bio les a motivés à passer en bio. Pourtant ils étaient déjà en agro-écologie, ils ne labouraient pas, ils plantaient des arbres, faisaient deux désherbages par an… mais ils se sont dits : il y a quelqu’un qui peut nous approvisionner et c’est dans l’air du temps…. Surtout que leur ferme est expérimentale, un peu une ferme vitrine »

Depuis 2018, le partenariat entre les deux acteurs fonctionne à double sens, Laurent ayant désormais mis au point un programme de cultures biologiques soigneusement étudié à la fois pour répondre aux besoins alimentaires des animaux de la ferme, et pour améliorer la qualité biologique de ses sols :

« Je suis allé les voir et je leur ai dit : je veux faire de la luzerne et je cherche un éleveur pour m’acheter ma Luzerne : eux ça les intéressait aussi. Donc ma luzerne est ensilée et aussi commercialisée auprès de ferme de la Tremblaye, pour les chèvres »

« Je produis chez moi, on a un engagement sur un prix et je leur vends ma marchandise »

« Pour approvisionner les vaches de la ferme, j’ai augmenté ma surface en maïs et j’ai également introduit un mélange pois triticale : la triticale a une biomasse importante et sert de tuteur au pois fourrager qui n’est pas trop structuré. C’est un mélange très envahissant qui empêche les adventices de se développer ».

Bien que fervent défenseur d’une agriculture moins chimique, Laurent soulève quelques incohérences des systèmes actuels :

La culture biologique rend plus difficile certaines pratiques pourtant bénéfiques pour les sols, et développées en agro-écologie: « Les cultures dérobées sont quasiment impossibles », « il faut labourer » 

L’économie de carburant n’est pas forcément au rendez-vous avec le bio : « En passant la bineuse, je consomme environ 10 litres de fuel par hectare, contre 3 litres seulement pour un désherbage chimique »

Enfin, en culture conventionnelle, la suppression de certains traitements de semences a déclenché de nouveaux besoins de traitement en végétation sur des cultures que l’on ne traitait jamais lorsque les semences étaient traitées. C’est le cas par exemple pour la betterave.

 

Pour conclure sur ce portrait encourageant du métier d’agriculteur dans un contexte d’agriculture en pleine mutation, je dirais que chaque agriculteur est en mesure de réfléchir à la façon de réaliser sa propre transformation avec succès. Se montrer agile, rester attentif et ouvert aux opportunités de son écosystème agro-socio-économique, voilà comment acquérir un certain degré de liberté, d’autonomie. Comme quoi « à cœur vaillant rien n’est impossible » !

Dans cet état d’esprit, Laurent prépare en permanence son avenir en gardant un œil sur l’actualité de son métier et les opportunités de son environnement. Rien n’est figé, mais chaque opportunité source de valeur ajoutée sur un plan économique ou écologique, est un tremplin pour évoluer :

« Mes projets ? C’est d’ici 2 ou 3 ans passer la totalité ici à La Boissière en bio. Gazeran est encore 100% en conventionnel, mais je préfère procéder par étapes ….après on verra comment se passe le marché, si le consommateur est toujours prêt à payer le prix du bio,… si le marché est stable,  s’il n’y a pas d’importation étrangère…… J’y vais raisonnablement en fonction de l’actualité»

 « L’année prochaine je vais m’équiper un hangar photovoltaïque, et à partir du mois de septembre, on va produire de l’électricité »

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